Quand le travail devient une épreuve initiatique
Comment j’ai compris que survivre n’était pas vivre — et pourquoi nos organisations doivent changer…
Pendant des années, j’ai pensé que s’épuiser était normal. Qu’une vie professionnelle « réussie » devait forcément coûter cher : du temps, du sommeil, des morceaux de soi. J’avais tort. Et je ne l’ai compris qu’en traversant ce que je croyais être un effondrement personnel… qui était en réalité une initiation.
La pression invisible qui façonne les organisations
Sous nos discours sur la performance, l’efficacité, le leadership… une pression plus profonde agit : celle d’atteindre une reconnaissance souvent inconsciente, héritée de l’enfance. Dans mon cas, cette pression avait un nom : la loyauté familiale.
Être utile. Être forte. Ne jamais faillir. C’était une croyance discrète, silencieuse, mais profondément chevillée à mon identité.
Et comme beaucoup, je l’ai transportée au travail en pensant qu’elle m’aiderait. En réalité, elle me piégeait.
L’entreprise comme miroir
Nos organisations ne sont pas seulement des lieux de production : ce sont des laboratoires identitaires.
On y rejoue, sans s’en rendre compte, des scénarios familiaux, des besoins de reconnaissance, des loyautés affectives, des zones de fragilité soigneusement dissimulées. Dans mon mémoire, j’ai découvert à quel point le travail active une question existentielle universelle : « Suis-je assez ? »
Cette question, si elle n’est pas consciente, peut conduire à des comportements extrêmes : sur-engagement, hyper-contrôle, besoin d’approbation, incapacité à poser des limites, épuisement émotionnel…
Et puis un jour, le corps dit stop.
L’effondrement qui ouvre
Le burn-out n’est pas seulement un accident. C’est parfois une révélation brutale : celle qu’on a bâti une partie de sa vie sur un angle mort.
Dans mon cas, ce n’était pas un manque de compétences, ni de motivation. C’était l’incapacité à reconnaître une vérité simple : on ne peut pas se construire sur une identité qui nie sa propre vulnérabilité.
L’épreuve a été douloureuse, mais elle a ouvert un espace intérieur que je n’avais jamais occupé :
celui d’une autorité personnelle qui ne dépend plus de plaire, performer ou sauver.
Ce que j’ai compris :
- Le travail n’est jamais « seulement » du travail.
- Il révèle notre manière d’être au monde.
- Nos murs se fissurent toujours à l’endroit où nous nous sommes sur-adaptés.
- Et toute transformation professionnelle commence par un déplacement intérieur.
Le plus surprenant ? Ce déplacement n’amoindrit pas la performance : il la libère.
Pour une autre façon d’habiter nos organisations
Si je partage ce récit, ce n’est pas pour raconter une chute, mais une mue. Parce que je crois que nos entreprises ont besoin d’un leadership différent : plus conscient, plus incarné, plus relié. Pas d’un leadership héroïque. D’un leadership humain.
Un leader qui a traversé ses propres ombres inspire davantage que celui qui les masque. Un collectif qui accueille les vulnérabilités crée plus d’innovation qu’un collectif où tout le monde joue un rôle. Une organisation qui comprend les dynamiques psychiques qui la traversent devient non seulement plus saine, mais plus performante.
Nos défis contemporains (complexité, incertitude, accélération technologique…) exigent une humanité plus grande, pas des armures plus épaisses.
Finalement…
Ce que j’ai vécu n’était pas une fin mais une entrée : l’entrée dans une manière plus vraie d’être en responsabilité. Une manière qui ne confond plus effort et valeur, loyauté et sacrifice, productivité et identité.
Aujourd’hui, je n’essaie plus d’être irréprochable.
J’essaie d’être juste.
Et c’est une révolution silencieuse, mais profonde — pour moi, et pour ma manière d’accompagner les organisations.

